Photographies de femmes dans leur modeste habitation. Rosalie Colfs restitue au monde le quotidien des jeunes mères sans époux qui habitent la République Démocratique du Congo. Plus que des images, c’est le témoignage de vie, l’illustration d’une lutte contre le pudique “je ne travaille pas” et sa sombre réalité.
Un peu en dehors de Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo, se trouve la cité de Masina, peuplée de pas moins de cinq millions d’habitants. Une cité grande comme un pays qui posséde le triste record du plus haut taux de natalité chez les mineurs en RDC. On ne compte plus qu’une seule université et peu d’écoles ; le nombre d’analphabètes y est particulièrement élevé.
Devant le magasin “La chinoise”, tenu par une petite dame menue ne parlant pas un mot de Lingala, j’attends le fils de Thérèse. Il va nous servir de guide pour traverser le dédale de rues en terre battue nous reliant au point de rendez-vous. Quelques vendeurs écartent leurs légumes ou le charbon pour laisser un passage à notre véhicule. Au cœur de la cité, sous un soleil de fin de saison des pluies, Maman Thérèse nous accueille et me présente à ces femmes qui m’attendent, ou plutôt qui attendent que nous parlions d’elles.
Toutes habitent à proximité de chez Thérèse. Celle-ci m’explique rapidement que, dans chaque parcelle de Masina, au moins une femme élève seule ses enfants. Pour ceux-ci, les pères sont absents, voir inconnus.
Ces femmes vivent tant bien que mal du soutien d’un parent ou, pour la plupart, ne “travaillent pas”. C’est à la suite de quelques rencontres et témoignages que je comprends que “Je ne travaille pas” est une façon pudique de [me] parler de prostitution. Pour pouvoir se procurer un morceau de pain, de sucre ou du savon elles “ne travaillent pas”, et ce pour le maigre “bénéfice” de 50 cents à 2 dollars!
La contraception est peu, ou pas utilisée : elle est un sujet tabou. “Ce n’est pas nous qui décidons” témoigne Jeanne. Pour ne rien faciliter, en RDC, les femmes seules ne sont pas reconnues comme chef de famille. Elles ne reçoivent aucune allocation si elles ne sont pas mariées ou si les enfants ne sont pas reconnus par le père.
Des rails de trains et quelques rues plus loin, je rencontre Jolie. Elle vit dans une pièce exiguë avec sa sœur aînée, qui vit la même situation. En regardant cette jeune fille, son petit garçon dans les bras, je ne peux m’empêcher penser à mon histoire ; jeune maman à dix-huit ans, tout comme elle. Le cœur renversé, je me rends compte, plus que jamais, de ma chance infinie d’être née du “bon” côté de l’hémisphère, avec un soutien familial, un système de santé, social… L’histoire de Jolie aurait, évidemment, pu être la mienne !
Pareille à une lumière au bout d’un tunnel, par choix et par conviction, Madame Thérèse Lisumbu vit parmi ces femmes. Lors d’un retour vers la capitale elle me raconte son histoire. Thérèse est l’aînée de dix enfants. Orpheline à seize ans, elle fut prise en charge, avec ses frères et sœurs, par des Pères. Tous furent scolarisés. Elle mesure sa chance et se sent redevable envers la société. Après avoir été maire de la commune, elle décide, à cinquante ans, d’ouvrir une maison d’hospitalité pour les femmes “égarées” de son quartier et ouvre donc l’ONG: CHEFEC où elle travaille aujourd’hui avec l’un de ses trois enfants.
CHEFEC est un lieu d’accueil, on y enseigne une profession manuelle, mais également les droits fondamentaux, la prévention, etc. Thérèse est une bouée de sauvetage pour une poignée de femmes à la dérive. A mon sens, une héroïne d’aujourd’hui. Petite ONG locale, la recherche de fonds est un combat au quotidien. Elle se
bat afin de faire perdurer ce en quoi elle croit, ce pourquoi elle vit. Alors, telle une femmes d’affaires elle parcourt Kinshasa, et le monde si elle le pouvait, pour rendre la dignité à ses protégées.
Nos chemins se sont croisés par le fruit du hasard et, par ces images, je lui ai promis de toucher le cœur de ceux qui les regarderont !